lundi 20 décembre 2004

Le canal

Promenades au bord du canal. Je me gare sur le parking en gravier du port de plaisance. Il fait froid encore, une pellicule de givre, presque imperceptible, recouvre encore le paysage et les choses.

Une carcasse de mouton, ou d'un animal que je n'identifie pas, sur l'eau gelée. À la fois atroce et... atrocement photogénique.

Je marche le long de l'eau, vers la ferme où E... et moi sommes allés quelques fois, et je continue encore au-delà.

Je prends des photos qui ressemblent à des paysages post-apocalyptiques, Tchernobyliens, mêlant herbes hautes, caillasses, murs noircis, tuyaux d'évacuations venant d'on ne sait où.

Je suis dans un état mental bizarre. Suivre ce cours d'eau, dans une solitude absolue, parfois ponctuée d'une grange délabrée, d'un entrepôt en briques ou d'une structure métallique à nu, par un matin d'hiver, donne une curieuse sensation d'expérience spirituelle, religieuse, un genre d'équivalent local du Gange revu par Tarkovski.

lundi 11 octobre 2004

Morne existence

Je mène une vie minimaliste, routinière, étriquée, minimaliste. J'ai besoin de m'évader, d'explorer, de voir autre chose. Le monde ne peut pas être pauvre à ce point, se réduire à ce point à une série restreinte de lieux utilitaires, de zones laides où rien n'est possible. Il doit y avoir quelque chose à voir, quelque chose à faire. Il doit y avoir des territoires encore cachés, ou tout est intact. Il le faut.

vendredi 8 octobre 2004

Pélerinage

Elle était de retour en ville, aujourd'hui, et sur le chemin de la Foire, pour aller faire un tour de train fantôme, nous sommes passés – mais comme chaque fois que nous nous revoyons – devant le 29 rue de la Source. Seulement, cette fois j'ai émis l'idée de sonner chez quelqu'un, au hasard, et d'entrer faire des photos dans la cour intérieure. Aucun de nous deux n'y était entré depuis des années, depuis cinq ou six ans peut-être. C'était excitant comme une plaisanterie de gosses : faire toutes les sonnettes et attendre qu'on nous ouvre.

Elle a sonné au hasard et, après plusieurs essais infructueux, expliqué à l'un des habitants qu'elle avait habité ici et voulait prendre quelques photos de la cour intérieure. Nous sommes donc entrés. J'y suis allé le coeur léger, ça n'était pour moi rien de plus qu'une petite ballade touristique, mais elle, elle, dès l'entrée dans le couloir, est passée en un instant des rires aux sanglots ; cela m'a surpris mais c'était, au fond, évident. Derrière l'aspect anodin de cette petite excursion, quelque chose de beaucoup plus profond et douloureux se jouait. Je lui ai été presque reconnaissant de verser ces larmes.

Les murs avaient été repeints en blanc. Les volets de son ancien appartement étaient fermés et nous avons sonné mais personne n'a ouvert. Nous n'avons croisé personne dans la cage d'escalier. Il n'y avait aucun bruit, aucune odeur. C'était un moment horriblement triste, mais avec mon appareil photo, à mitrailler toutes les cinq secondes, je me sentais un peu protégé, comme extérieur à ce qui était en train de se passer. Tout est heureusement devenu plus léger quand nous sommes ressortis dans la cour intérieure. Le pélerinage avait été fait.

samedi 29 mai 2004

Fin de l'exercice

Je dois avouer que je n'ai pas vraiment continué mes "exercices de présence au monde", n'en ayant pas vraiment l'utilité dans la mesure où je ne suis ni écrivain ni concepteur de jeux vidéos ou quoi que ce soit dans ce genre. Néanmoins je pense que c'est une discipline sauvage très intéressante et prometteuse – tant pis si ça sonne prétentieux.

dimanche 18 avril 2004

Rêve de la nuit dernière

Je roule seul, de nuit, vers la Champagne. Je m'arrête à Reims ou Troyes ; c'est une ville assez misérable, laide, grise, mais elle a ce charme de la nouveauté dont j'ai tellement besoin. Cette impression d'être perdu, dépaysé, d'être un étranger absolu, donc libre absolument. Je trouve d'ailleurs un quartier assez médiéval, plus vivant, très beau, et me sens comme un touriste, comme un aventurier un peu également, c'est extrêmement apaisant et agréable. Je me retrouve aussi dans une sorte de banquet familial, ou peut-être communal, parce qu'il y a beaucoup de monde. Un petit midi ensoleillé en province. Je me promène au bord d'un cours d'eau, il y a un pont ou un passage à gué, peut-être une petite cascade, aussi, et un vieux – le rebouteux, le vieux sage du village. Il y a une petite fille très pauvre, très sale, qui se couche toute habillée dans une espèce d'abreuvoir, en ville, pour se laver.

dimanche 14 mars 2004

Acceptation

L'un de ces derniers soirs je me suis baladé dehors et, sur une impulsion, attiré par je ne sais quoi, suis entré inopinément dans un immeuble donc les doubles portes en bois, anciennes, belles, étaient grandes ouvertes. Une musique étouffée, à bas volume, s'en échappait. Je me suis retrouvé dans un long couloir, comme dans un lycée ou un hôpital ; vieux carrelage, boiseries, etc. Tout au bout il y avait une salle où des gens (plutôt jeunes, la vingtaine, la trentaine) dansaient. J'ai fini par comprendre, en les voyant échanger en langue des signes, que c'étaient des sourds-muets qui faisaient une petite fête à leur manière. L'immeuble devait être une institution et un lieu de vie qui leur était réservé, et cette soirée une espèce de manifestation type "portes ouvertes".

Je me suis éloigné et ai exploré un peu les lieux, qui étaient obscurs dans l'ensemble, d'une manière agréable et intimiste, sans rien d'angoissant. Je suis entré dans une pièce au hasard ; c'était une une cuisine. Tant dans le couloir que dans cette cuisine l’architecture et la décoration avaient décidément un côté vieillot, mais qui n’avait rien de malsain, au contraire, c'était accueillant comme un foyer, un lieu que j’aurais connu ou pu connaître dans mon enfance ou ma jeunesse. J'ai pris quelques photos.

Un peu plus tard, des gens que j’avais vus danser sont venus me saluer, certains devaient être des accompagnateurs ou éducateurs, puisqu'ils parlaient, et on a discuté un peu, manifestement mon intrusion ne les gênaient en rien. Je suis resté là une bonne partie de la soirée. Certains jeunes sourds-muets se sont joints à leur manière à la conversation, et j'éprouvais une sorte de fascination pour leurs échanges silencieux, paisibles, souriants. Je n'ai jamais vécu dans une telle structure, pas même dans un internat à l'époque de ma scolarité, et pourtant j'ai ressenti comme une sorte de nostalgie indéfinissable.

jeudi 5 février 2004

Balade nocturne

Cette fois j'ai pris le parti d'avancer au hasard, là où mes pas me porteraient. Je suis repassé dans la petite ruelle, espérant revoir cette véranda illuminée qui m'avait émerveillé, hier – une véranda vitrée, à 5 côtés, dans laquelle une gentille petite famille passait le temps, à la lueur de bougies et de petites lampes. Quelque chose de presque insupportablement heureux. Mais cette fois, la maison était plongée dans le noir. Pas de magie deux jours de suite, ou en tous cas pas la même.

Celle d'aujourd'hui allait être plus sombre et plus étrange ; j'aurais dû m'en douter dès le début, dans la rue précédente, avec ce jardin obscur fermé par un grillage tordu et envahi par la végétation, par les ronces, d'où surnageaient quelques petites roses blanches. Je me suis arrêté devant et l'ai regardé longuement, sans savoir exactement pourquoi il me fascinait. Plus loin, alors que j'avais quitté ce petit quartier-là, sans un regret, pour prendre une rue au hasard après la Mairie, je retombais sur la même chose, le même effet ; une petite maison décrépite, au bas d'une longue rue très en pente, avec une grille bien noire, que la végétation recouvrait en partie ; cela cachait l'essentiel de la maison. J'ai toujours aimé ça, cette ambiance de décomposition, de vieillesse, je ne sais pas pourquoi.

J'ai remonté la rue, dont je me suis rendu compte assez vite que je ne l'avais jamais empruntée. Les maisons m'obsédaient comme toujours dans mes balades nocturnes, avec leurs fenêtres illuminées, chaleureuses, qui font se sentir encore plus seul, et renvoient à quelque chose de sans doute très primitif – l'envie d'aller toquer à la porte pour avoir un peu de chaleur et rencontrer des congénères. S'approprier leurs vies, aussi, leur univers, car une maison, c'est un univers en soi. Souvent, rien que la couleur d'un papier peint, un tableau au mur, la forme d'une lampe, font naître des histoires et des fantasmes. Chaque maison est un roman.

La rue débouchait sur la cité. Sur la totalité de mon champ de vision, des HLM de petite taille, des gazons, des chemins bétonnés, des garages ; un monde miniature parfaitement organisé, domestiqué. J'avançai droit devant moi, dépassant des groupes d'ados tranquilles, des pères de famille, personne ne prêtait attention à moi. Les HLM oranges, illuminés, semblaient irréels.

Devant une belle maison : je me plaçai par rapport au réverbère et aux branches des arbres au dessus de moi, pour avoir la plus belle lumière et le plus beau cadrage. Et je réalisai à nouveau que je ne vois pas la réalité ; je vois mes fantasmes, et je n’aborde pas le réel comme un réel, mais comme une matière esthétique, une œuvre qui ne demanderait qu’à être fixée, en appuyant sur un bouton.

En sortant de la cité HLM j'étais à nouveau en terrain connu ; rien ne m'empêchait de redescendre vers la mairie, puis de rentrer chez moi. Mais comme en rêve, je vis à nouveau des chemins et des rues qui montaient vers des quartiers que je n'avais pas remarqués jusque là. Je montai une rue discrète où presque toutes les maisons étaient plongées dans le noir. L'impression d'irréalité se fit plus forte, et culmina quand j'arrivai devant le cimetière. Sa longue muraille terminait la rue et barrait l'horizon ; au dessus, la lune, absolument pleine, jaunâtre, énorme. Le funérarium ressemblait à un bâtiment romain, et avec ses plantes exotiques, en façade, j'eus plus que jamais l'impression d'être dans un décor. De l'autre côté de la route, c'étaient des entrepôts, puis des arbres et la nuit.

Je longeai le cimetière et descendis un petit chemin sous les branches, qui donnait sur les champs ; on sortait de la ville. Mais un autre embranchement menait vers des baraquements militaires à l'abandon, fermés par des barbelés. Le sol était boueux. La sensation d'irréalité laissa la place à d'autres pensées, plus personnelles, des visages anciens me revenaient. Un changement subtil d’ambiance, d’un pas à l’autre, comme toujours, à plusieurs reprises pendant les ballades ; chaque coin de rue, chaque nuance architecturale, chaque subtile modification de l’éclairage emporte vers d’autres mondes intérieurs. Je pensais à Émilie Forest. Je me répétais son nom, comme un mantra, ou comme pour lui redonner un peu de réalité, un peu de chair. Son nom ne m'étais pas apparu depuis des années, et semblait surgi d'une vie antérieure. Émilie Forest ; une apprentie serveuse qui était ma voisine de palier quand j'étais jeune étudiant, et qui fut la première personne que j'y ai connue et fréquentée pendant quelques semaines avant qu'elle disparaisse purement et simplement. Je me suis demandé si elle allait bien.

Note : en relisant le récit de cette balade, j'ai pensé à Béatrice, en me demandant pourquoi, puisqu'elle n'a jamais vécu dans ce quartier, avant de réaliser que c'est aujourd'hui au cimetière en haut de la côte qu'elle habite, ou pour être plus tristement exact, que se trouvent les cendres de son corps. Je me souviens maintenant aussi que je lui avais donné ce texte à lire, puisque nous parlions de la méditation, qu'elle pratiquait assidument pour tenir aussi éloignée que possible la douleur – en plus des multiples doses de kétamine qu'elle s'envoyait quotidiennement – généralement sans grand succès. Je lui soutenais donc que de se balader dans un certain état d'esprit s'apparentait à une forme de méditation ; avancer sans réfléchir, l'esprit vide, entièrement ouvert aux perceptions d'une part, aux idées et images mentales naissant toute seules, incontrôlées, dans l'esprit, d'autre part.

lundi 12 janvier 2004

Le bosquet venteux

Balade sur les hauteurs de Neunkirch, cet après-midi – comme souvent ces temps-ci. Quand j'ai bifurqué , après le terrain d'aviation, pour rejoindre la forêt, longeant ces fourrés interminables et inextricables survolés en permanence dirait-on par des nations entières de corbeaux, j'ai remarqué un bosquet étrange. Par je ne sais quel hasard ou nécessitait, il se trouvait exactement sur un couloir. On aurait dit qu'il en sortait un courant d’air puissant. Et ce courant d'air avait quelque chose de réjouissant, de vivant, qui évoquait, je ne sais pourquoi, l’aventure, le voyage, la nouveauté.

dimanche 4 janvier 2004

Le plaisir de se perdre

Je suis arrivé à Saint-Dizier alors qu'il faisait nuit depuis un bon moment. J'avais rendez-vous avec les filles ; elles n'étaient pas encore parties quand je me suis garé sur un parking quelconque, au hasard. Cela m'arrangeait ; j'en ai profité pour me balader. J'avais longé, en arrivant, un parc donnant sur une grande muraille médiévale, qui cachait un château plus récent, et le tout paraissait vraiment incongru, juste après la voie rapide et la zone commerciale par laquelle j'étais arrivé. Il y avait peu de monde dans les rues. Beaucoup de vieilles pierres, de façades décrépies, de grilles et de portails, d'églises et de ruelles pavées, de palmiers qui donnaient, comme parfois à Nancy, l'impression de se trouver dans une ville du Sud, loin...

Je me suis enfoncé dans la ville, au hasard, ressentant un peu la même chose qu'à Toulouse, le jour où j'avais passé une journée seul à marcher dans les rues, me perdant dans des quartiers de plus en plus excentrés et anonymes, avec un vertige presque voluptueux, ou comme à chaque fois que j'ai été dans une situation similaire : le plaisir de se perdre, de découvrir des lieux – rues et ruelles, places, arrières-cours, jardins – et d'avancer sans cesse, au hasard, ouvert à toute éventualité, tout surgissement de l'inconnu...