mercredi 16 mai 2007

Sombre allégresse

Je me souviens d'une balade à vélo, en famille, quand j'étais adolescent, par un temps automnal et sombre,  étrange. Ce genre de temps qui devrait être déprimant mais qui produit en réalité l'effet inverse ; une sorte de sombre allégresse. Nous nous étions arrêtés dans un troquet, avec mon père, pour attendre ma mère  et ma soeur, perdues en chemin. Le silence était presque total. Personne ne passait dans les environs. J'étais fasciné par ce silence et cette paix, sous ce ciel lourd et gris, qui m'était apparu alors comme le ciel qui convenait à notre région, à notre « race », pour des raisons que j'étais encore incapable de formuler.

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J'ai beaucoup parcouru la même vallée, au fil des ans, longeant la rivière et les villages qui vivaient sur ses rives. Parfois à pied, mais le plus souvent à vélo. J'en ai beaucoup rêvé, aussi – et des lieux, et des vélos. Parfois dans mes rêves nous étions de larges groupes de promeneurs, une véritable communauté, qui s'enfonçait toujours plus loin dans cette zone rurale oubliée, paisible, préservée, tout au bout de laquelle se trouvait et se trouve toujours une ville thermale gallo-romaine dont les ruines sont visitables. C'était donc un voyage à travers et à travers le temps ; laissant la ville derrière soi, pédalant de toutes ses forces vers le passé, vers les origines, sous un ciel gris, orageux, électrique comme un cerveau bourdonnant de souvenirs qui veulent remonter à la surface de la conscience.

lundi 14 mai 2007

Trajets de nuit

J'ai eu pendant quelques mois, vers trente ans, une curieuse habitude, née de l'angoisse, de l'insomnie et de la solitude ; celle de faire de nombreux trajets en voiture, de nuit, roulant au hasard dans la campagne, avec une destination choisie au hasard mais toujours lointaine et encore inconnue, dans le but très précis de me sentir perdu, de me sentir loin, de me sentir au milieu de nulle part, seul, dans l'obscurité et la lumière froide de la lune, roulant vers un lieu où personne ne m'attendait et où je n'avais rien à faire. 

Maintenant que j'y pense, peut-être était-ce une façon d'acter ce qui était ma situation dans la vie en général, et en quelque sorte de le mimer : être seul, être perdu, être dans le noir. Avancer vers un but inconnu et hasardeux, dont je savais par avance que je n'y trouverais rien.

samedi 12 mai 2007

Meyerbach

Vers l'âge de trente ans, assez peu de temps avant de perdre ma mère, j'avais entrepris avec ma soeur et elle une visite des lieux d'où est originaire notre famille, de son côté. Une ferme, un village sans intérêt au bord de la route... Mais il y eut aussi une journée dans cette ville près de Paris où elle nous a amené jusqu'à une grande maison blanche, assez décrépite, qui me faisait penser aux quelques maisons appartenant à l'armée, et plus ou moins abandonnées, de l'avenue Joffre, dans ma propre ville - héritage de l'occupation allemande après 1871. Elle nous expliqua que la maison s'appellait « Meyerbach ».

C'était devenu un genre d'orphelinat ou de foyer pour adolescents et jeunes adultes en difficulté. Nous avions un ancêtre qui y avait vécu, quand c'était une maison de maître. Etait-il le maître en question ou un employé, je ne le saurai jamais. Le moment était assez émouvant ; j'avais très envie d'entrer dans ce bâtiment pour l'explorer, le découvrir - alors que je ne m'étais jamais interrogé sur l'existence même d'une telle maison, et que je serais passé à côté sans y accorder la moindre attention si ma mère ne nous l'avait pas signalée, j'éprouvais maintenant le besoin de l'intégrer à ma vie, de la faire mienne ou de m'intégrer à elle, à son histoire, même à sa vie actuelle, m'apprêtant après tout moi aussi à devenir orphelin, sous peu, et errant dans la vie au même titre que les jeunes personnes qui y vivaient.