samedi 28 juillet 2007

Hinterland

J'ai repensé hier à une sortie scolaire que j'avais faite vers l'âge de seize, dix-sept ans. J'étais donc au lycée. Nous étions comme d'habitude partis en autocar. Je ne saurais plus dire ce que nous allions visiter ni où exactement ; c'était un genre d'écomusée, en Allemagne. Près de Friboug peut-être ? Je sais que j'ai visité cette ville à l'époque, même si je ne saurais plus dire ce qu'on y trouve.

Nous avons traversé, en car, une forêt immense, interminable ; il me semble maintenant que nous y avons passé des heures. C'était comme si cette forêt était le bout du monde et une frontière avec... autre chose.

Il y avait ensuite des champs ; une plaine droite, qui semblait toute aussi infinie. L'éco-musée se tenait là, c'était un ensemble d'une dizaine de maisons en bois, manifestement vieilles de plusieurs siècles, que l'on pouvait visiter et où étaient exposés des objets quotidiens du temps jadis. Naturellement, personne n'y vivait plus. Cela m'avait semblé un immense gâchis : pourquoi ne pas profiter d'un tel cadre de vie, et s'y installer ?

J'avais quitté les lieux un peu mitigé, content d'avoir vu de belles choses mais frustré de savoir que je ne vivrai jamais dans un tel cadre, et que personne, d'ailleurs, ici, ne le ferait non plus. L'architecture contemporaine, fonctionnaliste et refusant l'idée même du Beau, m'a toujours répugné. La visite était finie, mes camarades et moi-même avions quartier libre pour acheter à la boutique de souvenir des cartes postales et autres marchandises ; avec un ami j'avais décidé de m'éloigner et d'explorer les environs. Les champs se poursuivaient jusqu'à un dénivellé très prononcé, je n'irai pas jusqu'à parler de ravin, car cela ne tombait pas à pic, mais il fallait tout de même emprunter des escaliers métalliques incrustés dans la roche pour descendre.

Le chemin débouchait sur un petit bois de bouleaux très espacés qui lui-même, au bout d'une centaine de mètres, menait à un autre village, exactement semblable au premier, à ceci près qu'il était habité. Ça ressemblait à ces émissions folkloriques ridicules à la télévision allemande, que nous captions, dans la maison de mes parents, puisque nous vivions près de la frontière. Les tenues typiques, le décor rural, l'impression générale de se retrouver dans une Allemagne éternelle, archétypale, où le temps s'est arrêté... 

Découvrir cette communauté humaine cachée, insoupçonnée, ce Hinterland vivant, qui survit secrètement à l'écart du monde moderne, qui fait tout l'inverse de ce qui semble raisonnable et souhaitable pour le commun des mortels, a été une expérience extrêmement forte, extrêmement émouvante pour moi. J'ai aussi réalisé que ce que l'on prend parfois pour une exception absolue et un vestige (l'écomusée) s'avère en fait n'être qu'un élément d'un ensemble insoupçonné, bien réel et bien vivant.

samedi 14 juillet 2007

14 juillet

Je me souviens d'un 14 juillet, il y a longtemps ; j'avais entre 20 et 23 ans, puisque c'était quand j'étais à l'université. Je passais mes vacances d'été à sillonner la région en voiture, seul, fuyant ou au contraire cherchant quelque chose que j'aurais été bien en peine de nommer. Mais ce 14 juillet-là, je ne roulais pas au hasard ; j'avais rendez-vous avec mes parents, qui m'avaient fait inviter avec eux à un repas chez des gens que je ne connaissais absolument pas et qui vivaient dans un village perdu de la Meuse ; le genre de village dont on a aucune chance d'entendre parler si l'on a rien à y faire. C'était comme souvent les villages lorrains une rue unique, bordée d'anciens corps de fermes mitoyens, assez bas. Une impression de délabrement et de pauvreté s'en dégageait. Le trafic automobile était absolument nul – il était midi et demi – et aucun passant ne se faisait voir dans la rue. Vers la fin de la commune, sur quelques centaines de mètres, les vieilles maisons cédaient la place à des pavillons plus récents, plus espacés, séparés par des pelouses et des haies ou des clôtures. Là aussi, aucun signe de vie. Aucun bruit, aucun mouvement. Le village tout entier, je l'avais noté en passant, était livré aux durs rayons du soleil, puisqu'aucun arbre n'était planté le long de la chaussée. Il n'y avait pas non plus de forêt au loin, ni aucun élément de décor agréable ou pittoresque ; seule la plaine, assez plate, et infinie. Tout cela donnait une impression déprimante de dénuement. J'avais oublié l'adresse où je devais me rendre et, après m'être garé au hasard, j'avais passé vingt bonnes minutes à parcourir le village du début à la fin, deux ou trois fois – jusqu'à ce que ma mère, me voyant sans doute par une fenêtre, sorte d'une maison pour me faire signe. La maison était agréablement décorée, chaleureuse, accueillant une famille manifestement plutôt aisée sans rien avoir du vulgaire « nouveau riche ». De nombreux autres habitants du village étaient là ; manifestement, ici, la notion de communauté était encore une réalité, on avait pas le moins du monde affaire à un village dortoir. On m'avait rapidement glissé une flûte de champagne dans la main (mais qui fête réellement le 14 juillet, au fait ? qui étaient ces gens pour qui tout cela a encore un sens ?) et j'avais passé finalement une agréable journée, me disant que si la nature aime à se cacher, la vie sociale, la vie communautaire aussi ; les campagnes ne sont peut-être pas aussi mortes et anonymes qu'on le pense quand on les traverse comme étranger. Elles se protègent de nous, tout simplement.