vendredi 27 mai 2005

Vivoter dans les ruines

Cet après-midi j'ai été chassé de chez moi par le boucan à l'étage au-dessus. Une fois de plus. Je suis donc parti me promener en voiture, dans une colère noire et ai échoué à Cirey.

J'y ai erré tout l'après-midi dans un état de sidération et d'excitation grandissante, en réalisant que toute la ville n'était à peu de chose près qu'une immense friche industrielle, aménagée et habitée. Avec ces rues entières de bâtiments visiblement inoccupés, inhabités, menaçant ruine. La grisaille, les pierres nues, les jardins à l'abandon. La végétation qui prolifère et donne une atmosphère paisible au désastre. Seules quelques rues pavillonnaires, semblables à celles de toutes les autres communes de France, semblaient récentes et en bonne santé, croissant dans toutes les directions aux confins de la ville, comme évitant son centre de ruines maudites.

Jamais je n'ai eu autant cette impression de voir un environnement d'après la fin du monde – et à l'échelle locale c'est réellement le cas ; la petite ville a connu une heure de gloire industrielle dont il ne reste rien aujourd'hui, et ses habitants vivent au milieu des ruines, au sens propre.

J'ai vu une femme ouvrir la porte d'un entrepôt abandonné qui lui servait apparemment de garage, peut-être même de pièce à vivre, qui sait, dans une usine abandonnée jouxtant sa maison.

J'ai vu une cabane en bois construite sur un ancien terrain industriel en friche. Des habitants y avaient aménagé des jardins.

J'ai erré sur des terrains au sol entièrement constitué de gravats, parsemé de maisons en ruines et d'entrepôts qui semblaient avoir été bombardés.

Un passé plus lointain se laissait deviner aussi ; en passant dans une ruelle désolée où je ne pensais rien trouver, j'ai vu le linteau extrêmement ouvragé de ce qui semblait une maison très ancienne et luxueuse ; une habitante, assise sur les marches de sa propre maison, mitoyenne de l'autre, m'a appris que tout cela constituait autrefois un véritable château. Une pancarte le confirmait quelques mètres plus loin. Face au « château » de petites granges en agglos et en bois menaçaient ruine. Ainsi, ici aussi, les gens du crû vivotaient dans les ruines d'un passé glorieux.

En y repensant, mon excitation était une occurrence de plus de cet état malsain, anormal, dans lequel j'arrive à me plonger quand j'explore de nouveaux lieux qui s'avèrent être vieux, délabrés, déserts. Je devrais préférer la vie, la beauté, l'animation, mais non, c'est l'entropie qui manifestement m'attire.

mardi 17 mai 2005

Dans la montagne

Je suis allé à la messe à T... ce matin. C'était la première fois que j'y allais, et à vrai dire, même la première fois que je m'arrêtais dans ce village au lieu de simplement le traverser en voiture. L'église était belle et j'ai regretté de ne pas avoir l'occasion d'y prendre des photos ; lumineuse, avec un très beau maître-autel en bois, manifestement très ancien. Je me sentais inhabituellement bien. C'était dû à quelque chose de très spécifique à l'endroit lui-même que j'ai fini par réussir à formuler : j'avais le sentiment d'être « dans la montagne ». J'étais loin de ma ville déprimante, loin du béton, de la crasse, du bruit, loin des dégénérés, loin de la décadence, de la laideur et de la mort, que la ville en général est venue à symboliser pour moi ; j'étais là, par un dimanche matin ensoleillé dans ce village paisible, niché au creux de la montagne, entouré d'autres villages tout aussi paisibles, de vrais refuges, et c'était comme être à l'autre bout du monde, dans une zone magique, protégée, inviolable, où tout était encore intact.

lundi 2 mai 2005

Enfers intérieurs

Promenade matinale. Je suis monté par la forêt jusque Hellert, ces coins-là... je mélange un peu tous ces villages. Mélange d'ennui profond, de solitude pénible, et d'excitation face à certains paysages – je dis excitation et non pas émerveillement, par exemple, car mon état mental dans ce genre de situation ressemble à un genre d'exaltation malsaine (liée au fait de mitrailler, en partie) plus qu'à une saine appréciation d'un paysage.

La balade solitaire n'a pour moi rien de rafraîchissant, de revigorant mentalement et moralement. Bien au contraire, l'errance et la solitude me mènent vers des états mentaux bizarres, malsains, excessifs.

Il est dangereux de se promener, d'aller se balader dehors. On croit s'aérer, voir le monde, alors qu'on ne se balade jamais que dans ses mondes intérieurs, dans les différents niveaux de ses enfers intérieurs.