dimanche 12 octobre 2003

Le Bas-chemin

Promenade le long de la piste cyclable, ce matin. Il faisait doux, tout était paisible et réconfortant. Une balade de dimanche matin comme je les ai toujours aimées. Pour la première fois j'ai réalisé qu'il y avait un AUTRE chemin, parallèle à celui que j'emprunte comme chaque promeneur, goudronné, bien dégagé, coincé entre la voie ferrée (inaccessible, grillagée) et des fourrés épais, inextricables. Cet autre chemin se situe en contrebas, derrière les fourrés ; il est quasiment invisible mais bien réel. Il est sombre, inutilisé, plus on avance, plus les haies et les arbrisseaux entrelacés, aux branches tortueuses, griffues, menaçantes, en interdisent l'entrée aux curieux. Mais il est incroyablement attirant. On soupçonne qu'il mène à des choses sombres mais inédites. C'est presque une métaphore involontaire, dans le paysage, des deux chemins qu'un homme peut prendre dans sa vie.

vendredi 22 août 2003

Campagne fantôme

J'ai rendez-vous avec F. à un endroit précis, et quand j'arrive à l'entrée du village, je la vois ; elle marche sur la route, dans ma direction. Nous avions rendez-vous pour participer ensemble à cette marche populaire. Il y a des centaines de participants, des voitures garées partout, d'autres qui manoeuvrent, ainsi que des motards, des équipes de la presse, des stands d'organisateurs un peu partout, etc ; cette foule et cette activité me surprennent assez et me font voir d'un autre oeil cette campagne plate, fantôme, habituellement déserte, que je ne parcours qu'en voiture quand je rentre chez mes parents pour les vacances.

Nous nous insérons parmi les marcheurs et parcourons plusieurs kilomètres, presque en silence, elle et moi, dans le village même puis sur des chemins de terre au milieu du no man's land.

Il y a quelque chose d'archaïque là-dedans. Le souvenir génétique d'une campagne vivante, bondée, grouillante, même ; des fantasmes de peuple en marche, comme dans les scènes de la Bible ou peut-être de certains contes de fées. Quelque chose qui peut ressembler aussi bien à un meeting fasciste qu'aux scènes de la Libération. Quelque chose de dionysiaque, qui brise le morne ordre quotidien où chacun est terré chez soi, où tout est statique et silencieux.

jeudi 26 juin 2003

Apocalypse ratée

C'était les champs derrière la ferme – une lumière de rêve, de mythe, d'apocalypse que les photos ne retranscrivent absolument pas, ne peuvent pas retranscrire. Je regardais les arbres au loin ; ils flottaient dans une légère brûme que transperçaient les rayons du soleil, et derrière cette porte naturelle, on devinait un champ, d'autres arbres, jusqu'à l'horizon. J'ai remercié Dieu de m'avoir conduit là, et nous avons franchi la barrière d'arbres. Tout était silencieux, et avec cette lumière si intense, on aurait dit que le monde allait nous livrer un secret. Mais il n'y avait qu'un autre champ. Nous sommes retournés à la voiture.

dimanche 11 mai 2003

Zones

J'ai récemment été avec F. à la fête médiévale qui se tient tous les ans à quelques kilomètres de chez elle. Nous sommes passés en voiture (c'est moi qui conduisais) à travers plusieurs villages sur le trajet, où je n'avais pas remis les pieds depuis cette journée à vider la maison de la grand-mère de L. et dont je n'avais aucun souvenir.

Il faisait incroyablement beau et F. elle-même a fait la réflexion que ça sentait les vacances ; le ciel bleu, la végétation luxuriante, le fait même de rouler en voiture... Je n'avais jamais roulé dans ces communes qui bordent la grande ville, et cela me mettait dans un état mental assez étrange ; c'était comme me retrouver « pour de vrai » dans ces rêves où je marche ou  bien roule seul dans la ville, mais dans une version étrangère, parallèle, inconnue.

C'était aussi comme revenir dans certains souvenirs, ou revoir une photo ancienne, oubliée, de ma jeunesse, mais en élargissant son cadre aux paysages environnants, et en ayant une chance d'y entrer, de les explorer. Un voyage dans le temps, l'espace, la mémoire.

Ces villages font partie de ces zones étranges comme il y en a beaucoup autour de la ville, ou plus exactement des non-zones, des non-lieux, juxtapositions incohérentes, comme dans les rêves, de fermes ancestrales bordées par un magasin ACTION ou une pizzéria, et où l'on passe en quelques dizaines de mètres de jardins ouvriers à des tours d'habitation, des maisons Phoenix, des entrepôts, des terrains en friches. On est ni en ville, ni à la campagne, ni dans une zone commerciale ou industrielle. On est précisément, exactement nulle part.

samedi 12 avril 2003

Exercices de présence au monde

Ça se passe il y a une dizaine d'années environ. Je sors de chez moi, un matin, vers 7h30. Il fait froid et sec. Le ciel est d'un bleu intense, superbe.

Je dois me rendre à un centre de formation où j'ai à passer la journée, pour mon travail.

C'est en réalité une vieille maison à la sortie de la ville, en bordure de champs et de forêts, reconvertie en lieu pour recevoir des groupes, des séminaires, des repas, etc. On y trouve des salles de réunion, une cuisine, des dortoirs, des salles de bains.

Je traverse tranquillement une large place au centre de la ville, quasiment en bas de chez moi, en me disant que quelque chose cloche ; mais je ne sais pas quoi. Puis je VOIS réellement, et entends réellement le monde autour de moi ; je sors du pilotage automatique où je vis la plupart du temps.

Je réalise que l'air est saturé de cris de corbeaux, assourdissants. Et qu'en même temps, au loin, une sirène de pompiers retentit – le genre de son qui évoque les alertes aux bombardements dans les films. Au bout de la place, une brume épaisse, très blanche. Toute la scène est incompréhensible, comme si quelqu'un avait placé des éléments d'ambiance au hasard.

J'arrive au centre de formation, presque en état de choc. J'ai l'impression d'être à côté de mon corps, de vivre un rêve éveillé. Tout a l'air à la fois irréel et beaucoup plus réel.

Il y a un pommier, dans l'herbe, à proximité du bâtiment. Un panier est posé au sol, au pied de l'arbre, rempli de pommes.

Je passe la journée presque inconscient des gens et de l'activité qui se déploient autour de moi, à écrire dans mon carnet des idées pour une typologie personnelle des ambiances et de ce qui les constitue, ainsi que des techniques de base pour créer des chocs esthétiques et poétiques comme celui que j'avais eu, à l'improviste, dans la rue. Avec le postulat qu'il était possible de le reproduire à volonté – dans le cadre de la création, de la rêverie sans but, ou d'un travail personnel sur sa propre conscience. C'est fondamentalement un travail sur son propre regard sur le monde.

*

Voici une transcription de mes notes en vrac :

Quel est mon objet ?

Étudier les procédés (tout élément d'un texte, en matière de contenu, comme de forme) pour étudier les effets produits sur le lecteur / le joueur.

Partir de récits / scènes qui m'ont marqué, qui m'ont parlé, et les analyser.

Dans la mesure où il ne s'agit pas d'étudier des récits, mais des scènes immobiles, des visions (fussent-elles « évolutives »), le terme narratologie n'est sûrement pas juste. Comment appeler ça ? De la poétique ?

La poésie que je veux analyser n'est pas celle de la forme du récit, mais celle de son contenu.

*

Ciel bleu azur, nuages moutonneux. Brume incompréhensible. Sirènes d’alarme incendie au loin.

Olfaction

Couleurs

Éléments du décor

Données météorologiques

Contradictions ou Grands contrastes (sensoriels et émotionnels)

Éléments sonores

Impression de découverte

Impression de rêve

Impression de sens impossible à formuler ou qui échappe

Impression que quelque chose va arriver, ou que l’on a quelque chose à faire

Incongruités, surréalisme

Profusion de signes. Le monde humain est un monde de signes.

Le description froide, analytique, topographique d’un lieu et de ses éléments, et d’éventuels événements qui y ont lieu, comme nouvelle forme littéraire – pour une époque technique sans lyrisme.

Influence des arts visuels, du multimédia.

Une écriture de la présence, de l’étant-là, plus qu’une narration.

Micro-récits. Refus des tartines psychologiques. Pas d’obligation du « personnage ».

Ruptures de rythmes. Trois ans en cinq lignes. Trois minutes en cinq pages.

Une clairière, un matin de printemps. Des cadavres au sol. Des cloches au loin. Cadavres en sang, herbe bien verte. Chants d’enfants sur la droite.

Pas besoin de « faire du style ». La poésie est dans la nature même de ce qui est décrit ou raconté.

Le bruit de trains roulant lentement sur des rails. On est dans une grande pièce vide dans un bâtiment abandonné. Elle a de nombreuses fenêtres, à gauche, d’où entre une lumière dorée. Des rideaux qui volent au vent. Sur le mur de droite, une croix, peinte. Des meubles et des traces de vie dans certaines pièces. Une estrade. On entend des dialogues venant de pièces adjacentes.

Ce sont des exercices de présence au monde.

Techniques :

Opposition (cimetière + rires d’enfants) // Étrangeté radicale (cimetière + bruit de machines)

Ruptures entre cohérence et incohérence (église + son de cloches, puis cimetière + bruit de machines)

Interaction et placement au centre du monde et de l’attention // Indifférence du monde, position de spectateur extérieur

Temporalité :

- Scène fixe // Écoulement du temps

- Ralenti / Normal / Rapide

- Ellipses ou continuité

Météo : temps (selon la saison, neige, pluie, soleil, chaleur ou pas, brouillard) – couleur du ciel – température extérieure.

Sources naturelles et artificielles de lumière.

Types de sons : humains (voix, bruits, musique), mécaniques (machines, véhicules, travail), animaux, sons liés à la météo, liés aux événements (guerre, fête, etc).

Types de lieux : naturel, urbain (époque ? style ?), industriel, ruines (époque, style ?), architectures particulières.

Incendies, inondations, tempête, tremblement de terre.

Événements : incendies, fête, guerre, rite religieux…

Objets : liés au travail, véhicules, organiques, artistiques, militaires, familiaux / vie quotidienne, médias (affiches, journaux, disques, films), animaux

Données olfactives : air pur ou non (fumée, etc), odeurs présentes (bonnes ou mauvaises).

Récit-caméra. Succession de perceptions.

*

Le panier de pommes au pied de cet arbre, dans le verger qui entourait le centre de formation. La quasi extase que j'ai ressentie en le voyant.

Anachronique, en décalage avec la vie actuelle, les métiers actuels, etc.

En même temps, cohérent vu le lieu (un verger, un quartier à la sortie de la ville, près des champs)

En somme, c'est une amplification de l'aspect anachronique d'un lieu.

Trace d'activité humaine.

Une activité humaine immémoriale qui plus est.

Le fruit lui-même est archétypal.

Appel à des archétypes (activité humaine, lieu, objet)

Trace humaine, mais aucun autre humain visible ni audible sur les lieux.

*

Scène à l’apparence gaie / apaisante, ou triste / angoissante

Scène au ressenti gai / apaisant, ou triste / angoissant

Cohérence ou incohérence apparente entre les éléments

Cohérence ou incohérence ressentie entre les éléments

Sentiment de familiarité ou de découverte / désorientation

Impression de sens impossible à formuler

Interaction et placement au centre du monde // Indifférence du monde et placement comme spectateur d’événements extérieurs

*

Rêve fictif qui m'est venu en me promenant dans la forêt hier : avancer, de nuit, dans une forêt obscure, froide, inhospitalière, et arriver, sur un sommet, dans un petit village chaleureux, vivant, ou devant un restaurant aux fenêtres illuminées, ou quoi que ce soit de ce genre.

Effet de rupture, de contraste, inattendu, et aussi bien esthétique que moral.

Précisons :

Obscurité // Lumière

Froid // Chaud

Solitude // Foule

Sentiment de déprime et de danger possible voire probable // Sentiment de sécurité et de joie

Mort // Vie

Qui dit rupture dit tension, préalablement.

Quand le contraste ou la contradiction entre deux éléments d'un scenario ne se suivent pas temporellement (forêt obscure, PUIS restaurant rassurant) mais se superposent (une forêt obscure et sinistre mais où l'on marche avec d'innombrables pèlerins, chacun tenant un cierge, dans une scène émouvante, sans aucune angoisse) on est dans autre chose.

Toute rupture repose-t-elle sur un contraste (voire une contradiction) ?

Le restaurant, la taverne, tout lieu vivant, illuminé, chaleureux, reste malgré tout « attendu », après une forêt obscure et sinistre. Il y a rupture, contraste, mais pas de contradiction. La contradiction serait d'avancer dans le Sahara, et de tomber sur un igloo encerclé par des ours polaires.

Le restaurant est attendu parce que ça colle avec la réalité, et que c'est aussi, au fond, quelque chose d'attendu dans la fiction, le récit imaginaire, le conte, etc.

La rupture qu'introduit le lieu inattendu-mais-attendu provoque des sentiments (réconfort, etc) alors que la rupture fondée sur une contradiction absolue ne fait qu'étonner ; elle ne provoque rien d'autre.

Distinguer le merveilleux (ou magique) du n'importe quoi.

Si à la place de la taverne dans la forêt, ou de l'igloo dans le Sahara, on avait une soucoupe volante (aussi bien dans la forêt que dans le Sahara), ce serait encore une autre catégorie.

*

Je n'ai jamais réussi à prendre le temps d'organiser et enrichir ces notes, d'en faire quelque chose d'exploitable, comme une sorte de méthode. Et ces fameux exercices, comme démarche créative et comme méthode gratuite et légale pour planer, sont une chose que je n'ai jamais poursuivie. Hélas...

mercredi 5 mars 2003

Explorations Psychogéographiques

J'ouvre donc cet humble blog intitulé "Explorations Psychogéographiques" sans trop savoir ce que je vais en faire. J'ai toujours aimer marcher, me promener, à la fois dans une liste restreinte de lieux favoris où je reviens encore et encore, comme pour les hanter et raviver en moins certains souvenirs – et dans des lieux totalement inconnus, inédits, où je me laisse emporter par le plaisir, l'excitation de l'exploration. Souvent je remarque que dans ces moments-là je me trouve dans des états mentaux un peu étranges, que j'aimerais  approfondir et expliciter ici.